Margaret Harmer

Introduction


J’aimerais vous proposer ma vision de la percussion.

Cette recherche, ma passion est inspirée de nombreuses sources. Tout d’abord, ma pratique instrumentale multiple, où j’ai commencé par apprendre le tambour suisse traditionnel, ensuite est venu la batterie, mes nombreuses années d’études de percussion classique que j’ai complété par l’apprentissage de nombreuses percussion ethniques: le djembé, les congas, les percussions arabes, le tambourello italien et enfin les tablas. A travers mes nombreuses pratiques de musiques ethniques, j’ai pu expérimenter et réfléchir sur d’autres systèmes rythmiques que notre système occidental. J’ai intégré certaines de ces pratiques dans mon enseignement et j’y puise une source d’inspiration pour mon métier de musicienne. Je complète cette recherche par une bibliographie, qui reste encore très pauvre vu l’immensité du sujet qu’est la percussion. Les études de percussion classique sont essentiellement basés sur l’écrit, tandis que la pratique instrumentale dite “traditionnelle” ou “ethnique” est essentiellement orale.

L’instrumentarium de la percussion est tellement vaste, qu’il faut choisir une manière de l’aborder. Je vais essayer de vous montrer comment choisir une approche et y mettre de l’ordre.

Je dis souvent à mes élèves que la percussion a deux aspects: lʼexploration sonore et le rythme. Et nous travaillons autant la recherche du son et du geste beau que la précision rythmique et la coordination.

Table des matières


  1. Petit historique des instruments à percussion en Europe
  2. Qu'est-ce-qu'une batterie?
  3. Classification des instruments de percussion
  4. Concepts des sons
  5. La percussion dans l'éducation
  6. Les essentielles pour enseigner
  7. Des baguettes et techniques différentes
  8. Les doigtés
  9. Les accessoires
  10. Bibliographie et discographie
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  • 1. Petit historique des instruments à percussion en Europe
    La plupart de nos instruments de percussion sont venus du Proche-Orient pendant le Moyen-Age. Ils arrivèrent de Byzance en passant par les Balkans et l’Italie, et ils arrivèrent d’Egypte en passant par la Sicile et l’Espagne. Ainsi, le triangle, le tambour, la grosse-caisse, les timbales et les cymbales frappées sont venus de (ou par) la Turquie, et les castagnettes, les sonnailles (sistres et grelots), les cymbalettes et les tambours à cadres (tambour de basque, bendir, tambour carré) sont venus d’Egypte. Les voyages de ces instruments sont difficiles à reconstituer. Les causes de ces voyages sont essentiellement les croisades, le commerce et l’Islam.
    Il y a peu d’instruments spécifiquement européens. La fabrication des cloches est certainement très ancienne. Il existe une variété de cloches pour des fonctions différentes: des cloches pour les animaux (vaches, chèvres), les cloches et les carillons d’églises et les cloches pour l’usage domestique (appel des servants). Il existe en Angleterre plusieurs traditions encore très vivantes aujourd’hui: bell ringing, consiste à jouer des cloches d’église en groupe et hands bells, sont des cloches à mains aussi joués en groupe. En Grèce, certains rituels orthodoxes utilisent une grande cloche plaque en bois. Le bodhran irlandais utilise une technique de batte très spécifique. L’enclume, la crécelle, les cuillères, le petit tambour (flûte et tambour) sont aussi de “chez nous.”

    Les percussions avaient un rôle important au Moyen-Age accompagnant les chansons et les danses. Ce fut les Croisés qui découvrirent le tambour, les timbales, la grosse caisse et les cymbales frappées chez les Sarrasins en leurs empruntant du même coup l’utilisation de ces instruments: pour les parades et à des fins militaires. Le tambour s’est intégré dans l’infanterie au XIVème siècle. Les timbales ont suivi une longue évolution, partant des nakkarat, 2 petits tambours de tailles différentes en poterie avec une peau de vache, tendus et attachés côte à côte par des boyaux. Les poteries se sont transformées en métal (cuivre) en raison de leurs plus grosse taille et elles sont sont devenus les timbales. Elles ont été intégré dans la cavalerie, puis dans l’orchestre baroque. Jean-Baptiste Lully est le premier compositeur pour avoir écrit une partie de timbales dans son opéra Thésée en 1675.
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    Nakkarat modernes, Turquie
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    Timbales XVIIIème siècle, Angleterre
    Le développement de la percussion en occident s’est réalisé surtout pendant le XXème siècle. Nous avons récolté, inséré, intégré avec plus ou moins de succès de nombreux instruments à percussion provenant de partout dans le monde (surtout d’Afrique et d’Asie). Cette importation s’est faite sans prendre en considération les contextes culturels d’où viennent ces instruments. Elle pose de nombreux questionnements sur comment intégrer ces instruments ethniques, leurs techniques très spécifiques, leurs utilisations culturelles, et leurs répertoires pour lesquels ils sont destinés dans l’éducation aujourd’hui. Ce cheminement n’a pas été sans embûches pour les compositeurs. Je citerais quelques compositeurs qui ont écrit pour la percussion: Bartòk, Stravinsky, Ravel, Varèse, Britten, Messiaen, Boulez, Berio, Cage, Xenakis etc. Il y en a beaucoup d’autres. James Holland, percussionniste au London Philharmonic, cite trois compositeurs qui maîtrisaient parfaitement l’écriture pour la percussion: B. Britten, O. Messiaen et P. Boulez.
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    Une des choses qui a bouleversé l’évolution de la percussion, qu’il ne faut pas sous-estimer, est le développement de l’industrie. La fabrication des instruments de percussions s’est industrialisée et a permis par exemple la vulgarisation de la batterie. Le développement du Hardware, tout les pieds (de cymbales, caisse-claire, etc.), fixations, cadres et résonateurs ont permit la mise en place de la multi-percussion. L’avantage essentiel des instruments industriels est qu’ils sont beaucoup plus sonores. Ils sont plus résistants, ils sont souvent démontables et on les range dans des flights-cases conçus pour. Cependant: on ne parle pas assez des inconvénients. Notre XIXème et XX siècle a connu des orchestres toujours plus grands, et avec l’arrivée de la sonorisation des volumes sonores toujours plus puissants pour des concerts de masse, est-ce-que nos oreilles sont faites pour un tel volume sonore? Les instruments sont plus résistants d’un certain point de vue, nous avons tendance a les maltraiter. Toutes les fixations et petites visses ont tendances à se dévisser après quelques années d’utilisation et créent des bruits parasites par sympathie. Un violon est fabriqué pour pouvoir être joué pendant plusieurs décennies, j’ai rarement vu le timbre d’une caisse-claire durer plus de 10 ans. La fabrication de plus en plus sophistiquée des peaux plastiques donne un son clair qui ne change pas avec la météo. Mais rien n’équivaut une peau animale et son touché. Il y a par ailleurs un retour au son des timbales à peaux animales pour l’interprétation de la musique classique. Un autre paradoxe: nous trouvons aujourd’hui une fabrication de masse des accessoires de percussion pour les enfants ressemblant à des jouets colorés sophistiqués. Ses instruments sont très résistants, très sonores (peut-être trop pour des enfants), mais ils n’ont pas beaucoup de finesse de timbre.
  • 2. Qu'est-ce-qu'une batterie?
    Ceci est une conférence intitulée L'autre Batterie que j'ai donné en novembre 2011 pour le Conservatoire Populaire de musique à Genève.
    Le piano est un instrument de percussion et traite le comme tel! - Paul Hindemith

    La musique pour percussion est une révolution. Le rythme et le son ont été trop longtemps restreint par les règles de la musique du 19ème siècle. Aujourd’hui, nous luttons pour leur émancipation. Demain, avec la musique électronique dans nos oreilles, nous écouterons la liberté. - 1939 John Cage

    Qu’est-ce-qu’une batterie?


    C’est ça! (en montrant l’instrument)
    Qu’est-ce-que c’est que ça? Comment tous ces instruments, ces objets si différents sont arrivés ensemble? C’est fait de quoi une batterie?
    Exemple musical: la batterie aujourd'hui!
    Aujourd'hui, la plupart des musiques actuelles sont composées, ou programmées avec des batteries virtuelles, appelés samplers.
    Dans cette vidéo Justin Aswell joue sur Maschine : c'est un contrôleur midi relié à un puissant logiciel. La contradiction c'est qu'il faut être un très bon musicien pour faire cette performance! J'ai pris des cours de Maschine avec Justin à Dubspot online.
    Exemple musical: batterie en glace!
    Une des première choses que les enfants de 6 ans me disent à leur 1ère leçon d’initiation à la percussion est qu’ils savent ce qu’est une batterie ou ils veulent faire de la batterie.

    Mais qu’est-ce qu’une batterie réellement?

    Aujourd’hui, je vais vous parler de la batterie, vous offrir différents regards sur cet instrument si répandu. Et je vais aussi parler de notre perception de la batterie et de son monde sonore, culturel qui l’englobe. Et surtout à travers une visite historique de la batterie.

    Une des personnes qui a changé mon regard sur la batterie est Fritz Hauser, batteur Bâlois. Fritz Hauser, venant d’un milieu jazz, décide de monter un projet de batterie solo. Il demande à une dizaine de compositeurs, dont John Cage, de lui écrire une pièce de musique. Il raconte sa rencontre avec Cage et aussi la manière dont la musique de Cage a changé sa perception sur la musique, la spatialité et le temps. La partition est sur une page avec une douzaine de lignes, en tout 24 portées, avec une note par portée et une indication temporelle. Fritz l’a travaillé pendant plusieurs mois et une jour d’hiver, après une grosse chute de neige et le silence ambiant que procure cette neige, il recouvre la moitié de ces cymbales (il a un set avec bien 10 cymbales) avec du tissu blanc et joue toute la pièce alternant l’étouffé et le résonance.
    One4 de John Cage
    Fritz joue de la batterie à sa manière très individuelle, très proche de la musique contemporaine la façon dont il aborde les sonorités.
    Exemple musical: Fritz Hauser
    Les exemples musicaux et picturaux que j’ai choisi viennent de YouTube. J’ai plusieurs choses à dire face à ces sources d’informations. D’une part, avec mes études de musique ancienne, j’ai appris à utiliser et à étudier l’iconographie comme une source principale d’information qui nous donnent sur pleins d’informations: la facture instrumentale, la manière et les technique d’instruments, l’environnement culturel, etc.
    L’autre élément important: il y a quelques années, j’ai assisté à une conférence sur l’autisme (dans le cadre de ma formation d’art thérapie) donné par un anthropologue qui nous a montré différentes vidéos de YouTube et des sites internet créer par des autistes. Il nous a montré que notre (“de gens normaux”) perception sur les personnes autistes est entrain de changer avec l’avènement des ces nouvelles technologies.

    Définition de la batterie


    Etymologie du mot batterie:
    • Action de battre, bruit qui en résulte, combat
    • 1204: prix que l’on reçoit pour avoir battu le grain.
    • Armurerie, artillerie, position de l’artillerie, batterie de canons
    • Ensemble des ustensiles en métal battu dont on se sert pour la cuisine
    • Les batteries électriques (invention 1820): effet de foudre en 2 composants chimiques.
    • Ensembles de tambours et de clairons d’un régiment, commandé par le tambour major
    • Manière de jouer (probablement le roulement).

    Des mots ressortent: battre, bruit, métal, la notion de pluralité et l’aspect militaire est important.

    D’où dans la représentation qu’on a de la batterie aujourd’hui, nous avons tous ces aspects. Le fait que la batterie est un monde essentiellement masculin, militaire. Elle est associée au bruit (cette connotation de la percussion liée au bruit vient du moyen-âge) ou à un niveau de décibels important. Il y a cet aspect du show ou de la parade, le visuel est important.
    Exemple musical: Swiss Top Secret drum core
    L’aspect militaire n’a pas toujours été associé à la batterie. Dans les psaumes de David (psaume 150), on lit: “Louer Dieu par ces cymbales sonores, par ces cymbales éclatantes!” Les instruments de percussion étaient liés à la louange, joués dans les synagogues, et lors de fêtes.

    L’origine des instruments de la batterie est multiple.

    Les 3 instruments essentiels de la batterie: grosse caisse, cymbales et caisse-claire (et d’autres instruments comme les timbales, sonnailles, etc.), nous viennent du Proche Orient avec les croisades. Il sont ensuite devenus des instruments militaires, utilisés pour les parades et faire avancer les troupes. Ils étaient portés. A noter, la technique du tambour s’est développée dès la renaissance, et la position asymétrique des mains, dû à la tenue du tambour par le baudrier (sur l’épaule droite, tenant le tambour vers la hanche gauche, penchant ainsi le tambour). Aussi notez le timbre, vient du bendir d’Afrique de nord. Il faut 3 percussionnistes pour assurer une section rythmique.
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    Bendir avec cordes en boyaux, appelé timbre
    Le drum kit ou trap kit, ou appelé plus tardivement drum set. Le terme “trap”, vient de “contraption”: une machine ou installation qui a une apparence bizarre et compliquée!
    Exemple musical: musicienne de rue à Buenos Aires
    Là, je fais un condensé historique pour avancer dans ma conférence: Ces instruments et les fanfares et ce style de musique ont été ensuite exportés au USA. Avec le mélangent de peuples et de cultures différentes (à la Nouvelle Orléans: les esclaves noirs travaillants dans les champs de canne à sucre, les haïtiens et les blancs) ont donné naissance au blues, au gospel, au ragtime, au dixieland… La notion du ternaire, du swing est apparue. Les effectifs dans fanfares, “bands”, sont plus petits et le percussionniste se retrouve tout seul pour jouer 3 instruments!

    Définition américaine et création de la batterie moderne


    En 1890, il y a le début de la création des pieds de grosse caisse, libérant ainsi les mains du percussionniste. La grosse caisse devient le centre de la batterie (aussi la basse, la fondation musicale). Plusieurs membres de la famille Ludwig se sont associés et on créé Ludwig & Ludwig Co. en 1909 et ont créé la première patente de la pédale de grosse caisse, c’est le début de la batterie moderne.
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    Premières batteries Windsor datant des années 1920-1930. Regarder bien la pédale du charleston (image de droite) très basse.
    Dès la 1ère guerre mondiale, il y a l’apparition des premiers kits de batterie pour jouer du dixieland. Le charleston apparaît dans les années 1920. Le mot vient de Charles town (ville de Charles) et aussi d’une danse de la ville de Charleston, South Carolina. High-hat (anglais pour le même instrument), est un mot qui suggère le chapeau de haute forme. Le rajout de beaucoup d’instruments chinois (art nouveau, important de motifs chinois et de chinoiseries, signe d’exotisme): blocks chinois, tom-toms, cymbales chinoises et tam-tam (souvent appelé faussement gong). Les cymbales ne dépassent pas les 15 pouces.
    Le prix des batteries Premier dans les années 1930 est à 72$ pour une finition d’ébène ou d’ivoire.
    Exemple musical: Teddy Brown
    La batterie, avec le look moderne, standard est apparue dès les années 1940, mais il faut attendre les années 1950 pour que le hardware se renforce. L’avènement du Rock’n’Roll, et la première tournée des Beatles en 1964, Ringo Starr jouait une batterie Ludwig a fait exploser les ventes de batterie.

    La batterie a changé de nombreuses fois de visage: elle s’est agrandie, rapeticie. Folie des grandeurs ou besoin d’être facilement transportable. Des ironies sont nés de cette batterie à multiples visages.

    Avec la venue des courants de musiques ethniques, les mélangent musicaux et culturels ont considérablement enrichi le répertoire de la batterie. Il y a une adaptation des percussions et des rythmes ethniques sur la batterie.
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  • 3. Classification des instruments de percussion
    Une boutade:

    La percussion se définit par ce qu’elle n’est pas: elle n’est ni un instrument à corde, ni un instrument à vent.


    Il existe une ancienne manière de présenter les instruments de percussion en 2 x 2 catégories:
    1. Les membranophones: instruments de percussion avec une peau
    2. Les idiophones: tout les autres instruments qu’on frappe, entrechoque, etc.

    Cette définition est désuète, nous, les percussionnistes, parlons plutôt des différents matériaux de construction. Ainsi, nous nommons les instruments à peaux, les métaux, les bois. Les instruments sont fabriqués dans de multiples matériaux: la pierre, le verre, la céramique, les coquillages, les fruits et les graines séchées, le plastique… Les timbales et les instruments à claviers: vibraphone, xylophone, marimba, glockenspiel sont considérés comme des catégories à part à cause de la sophistication de ces instruments.
    A cette définition par les matériaux, nous ajoutons souvent l’origine des instruments. Par exemple: un gong thaïlandais. Le gong est un instrument en métal, et celui-ci est de fabrication thaïlandaise, il aura un autre son qu’un gong chinois.

    Il existe 2 types de peaux: les peaux animales (vache, chèvre, poisson, chien, reptile, humaine, etc.) et les peaux plastiques. La dernière génération des peaux de timbales sont un mélange créés synthétiquement en peau de vache et en plastique, ils ont l’avantage de ne pas changer de hauteur avec l’humidité, la température, etc. et ils ont un son plus naturel qu’une peau uniquement plastique.

    Il existe des instruments qui sont faits en plusieurs matériaux. Par exemple: le tambour de basque, qui a une une peau et des sonnailles en métal. La batterie est une composition, un assemblage de plusieurs types d’instruments: des cymbales et des toms, etc.

    La 2ème catégorisation importante des instruments de percussion est la définition de la hauteur des sons:
    1. Instruments à hauteur déterminée
    2. Instruments à hauteur indéterminée

    Cela nous est essentiel surtout pour la composition et l’écriture. Ainsi, les instruments à hauteur déterminée sont écrit sur une portée, et les instruments à hauteur indéterminée changent souvent de notation dans chaque partition. Mais denouveau, la limite est floue; Benjamin Britten demande dans son opéra (l’arche de Noé) des tasses de thé accordées! On peut accorder les instruments en rajoutant un peu d’eau. Tout les percussionnistes diront qu’ils est impossible de trouver un xylophone sonnant parfaitement juste (par rapport au système tonal). Le bois est très difficile d'accorder parfaitement.

    Une autre façon d’aborder les instruments de percussion est par leur origine ethnique. Ils ont une histoire, viennent de cultures différentes, ils sont liés à des rituels ou des pratiques magiques ou guerrières. Il y a beaucoup d’instruments de percussion au centre d’histoires ou de personnages mythologiques. Ces mythes sont souvent liées soit avec la Création, soit avec des pratiques initiatiques ou thérapeutiques. Par exemple le symbolisme du tambour Coréen: le tschanggo est en forme de sablier et a 2 peaux. La peau jouée à gauche s’appelle: kungpjön, cela veut dire “porte de l’au-delà.” La peau jouée à droite s’appelle: tschepjön, qui veut dire “porte de ce monde.”

    Je pense qu’il est important de prendre conscience des différents ressentis que nous offre ces instruments de percussion. Les rythmes arabes nous inviterons à danser avec le ventre et le bassin, un bol japonais nous invite à la contemplation. On peut expliquer les différents gestes chez le chaman par des facteurs biologiques: les rythmes de transe utilisés lors d’un voyage chamanique sont les mêmes que les rythmes alpha ou thêta du cerveau, le tambour induit un changement d’état de conscience qui permet un rêve éveillé.
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    De gauche à droite : bol chantant, crotales et cloche. Tous provenant du Tibet
  • 4. Concepts des sons : théorie et applications
    Mon regard, ma perception de la musique est celui d’une percussionniste. Cela détermine la manière dont j’aborde les instruments de percussion et le travail rythmique en général.
    J’ai développé une série d’idées musicales qui sont à la fois théoriques basées autour des différents paramètres physiques du son et de la construction d’un rythme, et aussi et surtout pour une application sonore et rythmique, d’où découle un développement technique des instruments à percussion. Ils peuvent être appliqués à d’autres instruments que la percussion. Ils permettent de rendre le rythme plus intéressant et développer une technique percussionistique.

    1. Les gestes: frapper, taper, entrechoquer, frotter, gratter, secouer, etc. Ceci décrit la manière technique d’aborder l’instrument. Les mouvements d’approche d’un instrument sont innombrable: rapide, lent, grand, petit, appuyé, léger… Ils vont donner naissance aux différents paramètres du son.
    • Les frottés sont des gestes qui transmettent beaucoup de textures. Les variations des frottés sont innombrable en changeant les surfaces de contact, la vitesse, les différents gestes circulaires ou droits, la pression. Les frottés nous mettent en contact avec la surface des instruments, la peau.
    • Le geste aller-retour crée un mouvement binaire qui est intéressant d’exploiter dans le travail rythmique. Plusieurs instruments utilisent ce mouvement: le maracas, le triangle, le guiro, etc.
    1. Grave-aigu: paramètre de hauteur ou la fréquence (Hertz). Il faut 2 sons de hauteur différente pour créer un échange. Cet échange rythmique entre 2 sons est souvent plus intéressante que le travail rythmique sur un seul son. Par exemple: dum-tak dans la percussion arabe.
    2. Ouvert-fermé: un son qui résonne, un son étouffé. Long et sec: paramètre de la durée. On utilise une main pour frapper et l’autre main se pose sur l’instrument pour l’étouffer.
    3. Paramètre du timbre. Le jeu de baguettes multiples permet des attaques différentes. Le choix des instruments et des baguettes pour créer des variations de couleurs dans une oeuvre musicale est un facteur à la fois subjectif, mais aussi en fonction de l’équilibre des fréquences. Dans un ensemble à percussion, il y a très souvent un mélange harmonieux de timbres: bois, métaux, peaux. Un équilibre est recherché dans les fréquences: aigus-métaux, médiums-bois, graves-peaux.
    4. Volume: paramètre de l’intensité (Décibels). C’est bon de changer les dynamiques pour attirer l’attention.
    5. Pour crée un rythme, il faut une répétition. Il y a une goutte d’eau qui tombe, puis une autre goutte d’eau qui tombe. Une oscillation donne naissance à une pulsation: un rythme constant. Dans le rythme il y a la notion d’écoulement, de durée, de balancement, d’évolution et de dégénérescence. Le rythme est un principe. Le rythme crée de l’ordre, une structure. Le son est en lui-même une oscillation, une onde. Il y a du rythme à l’intérieur d’un son.
    6. Le jeu accentué est une pulsation rythmique avec des accents qui donnent naissance à des compositions métriques. Le battement continu est une notion technique pour les percussionnistes pour être en contact constant avec la pulsation, d’où émergent des accents qui se transforment en rythmes.
    7. Tout rythme métrique est basé sur une pulsation. Pour crée un rythme métrique, il faut une dissociation du corps: une pulsation et un rythme. Le pied tape la pulsation pendant que la main joue un rythme. Dans la percussion arabe le soutien rythmique (frappe du rythme de base pendant l’accompagnement d’un solo) se dit: Ardiyya cela vient de ‘ard: sol, terre. Pour jouer de la percussion, la coordination est un facteur important et une certaine conscience de la dissociation.
    8. Parler le son. Les onomatopées sonores permettent de parler non seulement les sons, mais aussi donner du sens à une phrase rythmique. Les éléments rythmiques sont rassemblés pour donner naissance à un jeu de questions-réponses, à un discours ou une mélodie rythmique. Le konacol est le langage musical rythmique de l’Inde du sud. Chaque syllabe correspond à un son sur les tablas. Chanter un rythme à l’intérieur permet d’habiter le geste, donne une conscience au rythme. Cela permet de travailler la respiration du rythme.
  • 5. La percussion dans l'éducation
    Une des première personne à s’être penché sur l’intégration des instruments de percussion dans l’éducation est Carl Orff. En 1932, Orff a commencé à créer sa méthode d’enseignement spécifiquement destiné aux jeunes enfants. Il s’est inspiré d’un instrument africain qu’il a reçu en cadeau: “le kaffir piano”, un petit xylophone construit dans une boîte rectangulaire. Il y avait 12 lames en bois attachés par une ficelle et une petite batte en bois. Il y avait aussi une inscription sur la boîte: 10000 Bretterstifte (des tiges en bois). Orff trouvait que l’instrument sonnait particulièrement bien et en fit un modèle pour son travail. Ainsi, il conçu des métallophones en boîtes bien connus dans l’éducation aujourd’hui.

    Quand un enfant ou un adulte entre dans une salle avec des instruments de percussion, il va naturellement les toucher et les explorer. L’éveil des perceptions par ces instruments est très direct. Je remarque 2 types de personnes face à un large instrumentarium. Il y a des personnes qui vont tout toucher et tout essayer et d’autres qui choisiront un instrument (ou un petit groupe d’instruments) et le regarderont plus en détail. Ces 2 démarches sont valables et différentes: la première permet de comparer les sons des différents instruments, la 2ème permet d’explorer plus en profondeur un instrument. L’exploration sonore a aussi ses limites, on a tendance à se disperser à trop vouloir essayer et au bout d’un moment, on s’ennuie parce qu’il faut donner un sens à tous des sons. C’est souvent à ce moment là que naît une séquence de sons ou un rythme. C’est aussi à ce moment qu’émerge l’imaginaire, la créativité par le jeu, les histoires. Après avoir reçu et ressenti pleins de sons, l’être humain a besoin de les ordonner, de les intégrer par la répétition pour pouvoir les assimiler et les comprendre. Il n’est plus envahi par des bruits étranges, mais il reconnaît tel son d’un autre. L’imitation des bruits de la nature lui permet de ne plus avoir peur. Jouer de la musique confie à l’être humain un pouvoir de maîtriser l’étrange, la nature, d’où l’assimilation des instruments de percussion au sacré.
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  • 6. Les essentielles pour enseigner
    J’aimerais maintenant partager quelques notions essentielles dans l’enseignement de la musique. Je réfléchis sur comment enseigner, comment mieux transmettre son savoir. Ce n’est pas encore du tout abouti, ces notions sont le début d’une recherche. Je me suis inspirée d’un article: REY M.-C. et SCHWAB-RECKMANN, Psychomotricité et communication, La psychomotricité: reflets des pratiques actuelles, Genève, Georg, 1994. Chaque point s’enchaîne et interroge le point suivant.

    L’espace. Nous sommes trop cantonnés à rester sur l’instrument. Apprendre à s’éloigner. Orientations, postures, proxémies (distance interpersonnelle). Comment je me tiens face à mes élèves? Est-ce-que la distance entre moi et mes élèves est bonne? Comment est-ce que j’ai arrangé ma salle de cours? Est-ce-qu’il y aurait des choses à déplacer pour m’y sentir mieux?
    La capacité à gérer notre environnement. Proxémie avec l’instrument.
    Les percussionnistes créent des installations de multi-percussion en arrangeant les instruments pour que leurs gestes soient les plus faciles et harmonieux possibles. On évite des mouvements inutiles, donc une déperdition d’énergie.

    La sensation rythmique. La fluidité de l’énergie dans le corps. L’imitation. Tonus corporel. Nos élèves sont souvent des miroirs de notre propre tonus musculaire. Nos élèves imitent et intègrent notre posture. Le rythme est essentiellement une sensation organique, qui est propre aux organismes vivants. Notre corps ressent plus le rythme comme les vagues de la mer sur une plage, le ressac qu’une pulsation mécanique comme un métronome. Le rythme fondamental de l’être humain est la respiration. Le chant grégorien n’a pas de pulsation régulière, mais le chant des phrases est rythmé par la respiration. La respiration crée une dynamique rythmique fluide, contrairement au métronome qui est statique et mécanique. L’être humain peut jouer aussi régulièrement qu’un métronome, mais le plus important est la dynamique intérieure.

    La respiration. Apprendre à respirer avec l’élève quand cela devient difficile. Temps de pause, raconter une histoire pour permettre au travail d’intégration de se faire. Voix. Chanter les rythmes permet une meilleure concentration et assimilation. Synchroniser la voix avec le mouvement permet de jouer plus facilement avec d’autres.

    La relation. Regards. Contact corporel. Parole et verbalisation
    Je pense que de s’interroger sur la relation est un devoir de notre métier d’enseignant.

    Tradition orale. Enseigner est un métier de transmission par la parole, le geste, le corps. Les traditions orales interrogent l’enseignement par l’écrit, par la lecture. Une question qui me touche actuellement: Comment est-ce-que nous intégrons des pratiques orales dans nos Conservatoires?

    Le retour du son, du geste. Le Recevoir. L’intégration de se qui vient se passer. Cela permet la mémorisation. Équilibre intime. Quand on apprend, on est déstabilisé, souvent angoissé, parce que l’apprentissage nous met face à notre manque. Notre société ne laisse souvent pas le temps à l’intégration. On a tendance a sauter cette étape.
  • 7. Des baguettes et techniques différentes
    Il existe 2 techniques très différentes de jouer les instruments de percussion: avec les mains ou avec des baguettes. La baguette est un intermédiaire entre les mains, le corps et l’instrument.

    Les techniques tactiles sont nombreuses dans les percussions ethniques. Mais il existe aussi des traditions orales utilisant des baguettes: le kodo, tambours japonais traditionnels et le tambour suisse (une image du XIVème siècle: des ours bernois entrain de jouer du tambour)
    Les baguettes différentes permettent une variété de couleurs différentes. Toutes les baguettes ont un nom en fonction de l’instrument sur lequel on joue le plus fréquemment.

    Baguettes de caisse-claire, de batterie, de marimba. Mais par exemple, on utilisera des baguettes de vibraphone sur un vibraphone et aussi sur des wood-blocks, parce que le son est spécifiquement adapté. Les percussionnistes connaissent comment obtenir tel son avec tel type de baguettes. On peut utiliser des baguettes moins conventionnelles: balais, sticks, boules magiques, brosses à vaisselle. Et on peut utiliser tout ce qu’on veut pour faire sonner un instrument! J.-P- Drouet utilise des petits instruments qu’il entrechoque avec un instrument plus grand (par exemple: un wood-block contre une caisse-claire). La baguette est aussi un objet de jeu en soi, elle devient un instrument lorsqu’on les entrechoque.

    Les techniques multiples de tenues des baguettes permettent d’avoir différentes baguettes dans chaque mains pour disposer d’une plus grande palette de sons.
    Chaque technique tactile ou chaque technique avec des baguettes demande une posture, une position, un travail du corps différent. La darbouka et le riq sont deux instruments de la percussion arabes, on utilise le même répertoire pour ces instruments, mais la position corporelle à l’instrument et la technique de jeu est très différente. Selon les pays, les baguettes se tiennent différemment: on ne joue pas de la même manière les timbales en France ou en Allemagne. Ainsi, chaque instrument demande un nouvel apprentissage et une technique spécifique. La technique est toujours issue de la position du corps à l’instrument. Par exemple: le tambour demande une position asymétrique des deux mains en raison qu’il est accroché à un baudrier et qu’il se joue en marchant, il est penché. La caisse-claire en revanche se joue à plat, la tenue des baguettes est symétrique.
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    De gauche à droite :
    1. mailloche de gongs balinais
    2. Baguette de marimba
    3. Baguette de vibraphone avec le manche en rattan
    4. Baguette de multi-percussion en caoutchouc, baguette à tout faire
    5. Baguette de timbale dure
    6. Baguette de caisse-claire
    7. "Sticks" ou "rods", tuteurs de jardin scotchés ensemble pour jouer à la batterie
  • 8. Les doigtés
    Le terme doigtés vient du piano, utilisant une notation 1, 2, 3, 4, 5 pour indiquer quel doigt jouer. 1 = pouce, 2 = index, etc
    En percussion, on parle essentiellement de main droite et main gauche.
    Il existe en gros 3 types de doigtés:
    1. Le frisé: un coup de chaque main
    2. Le roulé: deux coups de chaque main. Dans ce groupe, je mets aussi tous les ras, appoggiatures et ornements.
    3. Et des mélanges de frisé et de roulé. Ils créent une alternance de mains des accents. Par exemple: les moulins.
    Les frappes successives de trois coups et plus sont directement liées à une raison technique ou musicale ne sont pas travaillées en tant que telles comme des doigtés.
  • 9. Les accessoires
    Les percussionnistes appellent les accessoires, tout les petits instruments de percussion couramment utilisés et on les trouve dans toutes les armoires des professeurs de rythmique, d’initiation musicale et de formation musicale de base. Ils se nomment triangle, tambour de basque, maracas, castagnettes, agogo, etc. Ils ont tous une histoire, et souvent plusieurs origines avec des techniques différentes.
    Le terme accessoires vient de l'opéra ou ces petits instruments de percussion étaient joués d'abord par des accessoiristes et non des musiciens.

    Voici une paire de claves et tambourin appelé aussi "half moon", une demie lune. Tous les accessoires ont des techniques bien spécifiques dans la manière dont on les tient pour obtenir le meilleur son et les possibilités rythmiques de l'instrument.
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  • 10. Bibliographie et discographie

    Bibliographie


    D’ERLANGER BARON R., La musique arabe en six tomes, Tome VI, Le système rythmique, les diverses formes de composition artistique, Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1959
    FLATLISCHLER R., TaKeTiNa, The forgotten power of rythm, trad. de l’allemand par Nevill T., Mendocino, LifeRhythm, 1992
    HART M., Planet Drum, a celebration of percussion and rhythm, USA, HarperSanFrancisco, 1991
    HOLLAND J., A guide to the instruments and their sources, Oxford, Scarecrow Press, 2003
    MESSIAEN O., Traité de rythme, de couleur, et d’ornithologie en sept tomes, Tome I, Paris, Alphonse Leduc, 1994
    MAIOLI W., Son et musique, leurs origines, Cremone, Italie, Flammarion, 1991
    VIGREUX P., La Derbouka, techniques fondamentale et initiation aux rythmes arabes, Aix-en-Provence, Édisud, 1999
    Sur la musique
    DESCHAUSSÉE M. et PIGANI E., Musique & Spiritualité, Paris, Dervy, 1996
    GARDNER K., Sounding the Inner Landscape, Dorset, Element Books, 1997
    MICHELS U., Guide illustré de la musique, Rennes, Fayard, 1988
    Sur l’enseignement et le corps
    Association Suisse des Thérapeutes de la Psychomotricité, La psychomotricité: reflets des pratiques actuelles, Genève, Georg, 1994
    BOIMARE S., L’enfant et la peur de l’apprendre, Paris, Dunod, 1999
    DROPSY J., Vivre dans son corps-expression corporelle et relations humaines, Paris, Epi, 1973

    Discographie

    Voici quelques disques et musiciens qui m'ont inspirés sur mon voyage. Aujourd'hui on trouve tout sur YouTube.
    AFRICAN RHYTHMS, Warner classics, 2003
    mélange intercalé de musiques des Pygmées, de Ligeti et Reich, mélange incongru
    AIRTO M., The other side of this, Ryko, 1992
    un des meilleurs percussionistes brésiliens, percussions chamaniques d’Amérique latine
    BEST OF KODO, Tristar music, 1992
    Percussion traditionelle japonaise ressemblant à un art martial
    JEAN-PIERRE DROUET SOLO, en public à Banlieues Bleues, improvisation aux percusions, Transes européennes, 1994
    une vraie finesse et beaucoup d’écoute, un régal
    EVELYN GLENNIE, Light in darkness, BMG music, 1991
    un des meilleurs disques d’Evelyn Glennie, une percussioniste exceptionnelle, pièces de percussion contemporaines
    FRITZ HAUSER, sounding stones, Therme Vals, Fritz Hauser, 2000
    travail austère et conceptuel sur de la pierre des Grisons, que l’on peut écouter dans les bains de Vals par un percussioniste suisse
    TALVIN SINGH & SANGAT, songs for the inner world/ Live à la Basilique Saint-Denis, Festival St-Denis, 2004
    électro et musique indienne
    LES PERCUSSIONS DE STRASBOURG, Entente préalable, Universal music, 2002
    Les percussions de Strasbourg interprètent une suite de 12 pièces enchaînées écrites par 12 compositeurs
    EDGAR VARÈSE, New York Philarmonique et l’Ensemble InterContemporain dirigés par Pierre Boulez, Sony classical, 1984
    vous trouverez la fameuse pièce de Varèse: Ionisation pour 13 percussionnistes
    GLEN VELEZ, Breathing rhythms, Sounds true, 2000
    Percussions arabes, mantras parlés et chant diphonique